Catégorie : Mer et mère /

Voir la mort

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Dans le sommeil le signe humide sonne son heure, la prie de se lever. Lit nuptial, lit d’enfantement, lit de mort, cierge funèbre. Omnis caro ad te veniet. Il approche, pâle vampire, à travers la tempête ses yeux, sa voilure de chauve-souris ensanglante la mer, lèvres collées à mes lèvres.

Voici épingle-moi ce gaillard, veux-tu bien ? Mes tablettes. Bouche volant le baiser. Non il en faut deux. Ensemble cousus main. Lèvres collées à mes lèvres.

Déplaçant dans le ciel ses hauts espars, un trois-mâts, voiles mises en croix, rentre au port, remontant le courant, se déplaçant en silence, vaisseaux silencieux.

Une mort verte et salée

 

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Vivre c’est marcher

Mourir c’est perdre pied, se noyer

mort amère, mort à mer, à mère

retour à l’élément liquide

corps submergé, englouti, gonflé,

ingurgité, digéré par l’eau

Le père de James Joyce à moitié ivre eut un jour l’idée de faire subir à James une expérience formatrice pour lui en le maintenant plusieurs minutes la tête plongée dans la Liffey. James ne lui en tint pas rigueur mais Stephen n’aime pas l’eau qu’il assimile à la mort au contraire de Buck Mulligan qui a sauvé un homme de la noyade.

« Un cadavre remontant blanc de sel échappé du ressac, au pas , au trot, au galop, tête de marsouin crevant la surface en direction du bord. Ca y est. Accroche le vite. Bien qu’il ait fait naufrage au plus profond des eaux. On l’a. Tout doux.

Sac empli de gaz de macchab, mouillette de saumure infâme.

Un frémissement de fretin engraissé d’une friandise spongieuse s’échappe par les fentes de sa braguette boutonnée.

Des souffles de morts, moi vivant j’inspire, foule une poussière de morts, dévore les abats pisseux de tous les morts.

Hissé tout raide sur le plat-bord, il exhale vers le ciel la puanteur de sa tombe verte, sa narine lépreuse ronfle à la face du soleil.

Une déferlante de changement tout ça, yeux marrons bleuis par le sel.

Mort en mer, la plus douce de toutes les morts connues de l’homme.  » JJ

 

De fils en fils la vie se faufile

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réseaux de filaments sinueux ramifications de fibrilles effilochées alvéoles gonflées de veinules ruisselantes la ligne de vie se tend de vaisseaux filandreux en artères déroulées circulation de canaux ondulants filons fluides se faufilant page d’écriture (dédié à Michel Butor 2006)

Ecoute le murmure de l’informe

 

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INELUCTABLE MODALITE DE L’AUDIBLE

ça sonne pas toc

She trudges, schlepps, trains, drags, trascines her load . A tide westering, moondrawn in her wake. Tides, myriad islanded, within her. (James Joyce)

Elle trimarde , schleppe, traîne, tire, trascine sa charge. Une marée qui rampe à l’ouest tirée par la lune la suit. Marées en elle avec des myriades d’îles, sang qui n’est pas le mien. ( traduction Valery Larbaud)

Elle hale, schleppe, traîne, poulle, trascine sa charge. Marée faisant cap à l’ouest remorquée par la lune. Marée émaillée de myriades d’îles en elle. ( traduction Pascal Bataillard)

His lips lipped and mouthed fleshless lips of air : mouth to her womb. OOMB, allwombing tomb. His mouth moulded issuing breath unspeeched : OIEEEHAH : roar of cataractic planets, globed, blazing, roaring, waywaywaywaywayway. (JJ)

Il faisait la moue et ses lèvres effleuraient et mâchonnaient de fictives lèvres de vent : bouche à son ventre. Antre, tombe où tout entre. Du moule de sa bouche son souffle sortait des sons inarticulés OO…HII…HA grondement d’astres en trombe, ronds brandons qui grondent voya voya voya voya voyage. (VL)

Ses lèvres se délivraient de murmures, embouchures pour la bouche sans chair de l’air , bouche posée sur sa bouchuutteruse. Gravitombre, m’accouche ma triste tombe. Lèvres moules chuintant  des souffles d’air sans paroles. OOHEEHAA grondement de cataracte des planètes orbées s’embrasant, grondant, voye voye voye voye voyage. ( PB)

In long lassoes from the lock lake the water flowed full covering green goldenly lagoons of sand rising, flowing. (JJ)

Du lac de Cock, l’eau fluait à  force de longs lassos , recouvrait l’or vert des îlots de sable, s’enflait, fluait. (VL)

Dessinant de longs lassos du lac Cock affluait l’eau, grosse, recouvrant des lagons de sable vert-dorant, montant, affluant . (PB)

Listen a fourworded wavespeech : SEESSO HRSS RSSEEISS OOOS, vehement breath of waters amid seasnakes, rearing horses, rocks. In cup of rocks it slops: FLOP, SLOP, SLAP : bounded in barrels. And spent, its speecheases. It flowspurling widely flowing, floating foampool, flower infurling . (JJ)

Attention un discours en quatre mots du flot : SIISOU, HRSS, RSSEEISS, OUASS. Souffle véhément des eaux parmi les serpents de mer, des chevaux cabrés, des rocs. Dans des tasses de rochers le flot flaque FLIC FLAC FLOC bruit de barils. Et répandu sons discours tarit. Il flue en murmure, largement il flue flottantes flaques d’écume, fleurs qui se déploient. (VL)

Ecoute : discours de l’onde en quatre mots : SISSOUHH, HRSS, RSSIIESS, OOHHS. Souffler véhément des mots au milieu des serpents de mer, des chevaux cabrés, des rocs. Dans les cuvettes des rochers ça ressort, coule, sort, saoule: mis en barrique . Puis tari son discours s’épuise. Le flux gazouille, flue , énorme, flaques d’écume qui flottent, fleurs s’ouvrant. (PB)

Under the upswelling tide he saw the writing weeds lift languidlyand sway reluctant arms, hising up their pettioats in whispering water swaying and upturning coy silver fronds. Day by day. Night by night : lifted flooded and let fall. (JJ)

Sous l’influence du flux il voyait les algues convulsées s’élever avec langueur, balancer des bras qui éludent quand leurs cotillons les troussent, balancer dans l’eau chuchotante et lever de timides frondes d’argent. Jour après jour, nuit après nuit: soulevées, inondées, laissées à plat. (VL)

Noyées sous le flot qui enfle il voit les algues se tordre, s’élever alanguies et balancer des bras troussant leurs jupons à contrecoeur dans l’eau chuchotante elles balancent et emplissent d’émoi les timides frondes d’argent. Jour après jour. Nuit après nuit: soulevées, noyées, laissées en rade. Seigneur, elles sont lasses et soupirent au premier chuchotement . (PB)

l’audible crée le visible

le son  donne le sens

la poésie est une musique concrète,

le baiser bleu de lèvres balbutiantes éblouies

 

 

 

Stephen enfant

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« Laid et insignifiant. Cou maigre et cheveux broussailleux et une tache d’encre, la bave d’un limaçon. Pourtant quelqu’un l’avait aimé, l’avait porté dans ses bras et dans son coeur. Sans elle, le monde dans sa course l’aurait foulé aux pieds, flasque limaçon écrabouillé. Elle avait aimé son sang pauvre et aqueux tiré du sien. Cela était donc réel ? La seule chose sûre en ce monde ? Le corps prostré de sa mère. Elle n’était plus : le squelette tremblant d’une brindille brûlée au feu, une odeur de bois de rose et de cendres mouillées. Elle l’avait empêché d’être foulé aux pieds et puis elle s’en était allée, ayant à peine existé. Une pauvre âme partie aux cieux.

De son sang pauvre et de son maigre lait aigre, elle l’avait nourri et elle avait caché ses langes aux yeux des gens.

Tel il est, tel j’étais, ces épaules fuyantes, cette gaucherie. C’est mon enfance qui se penche près de moi. Trop loin pour que ma main la touche au passage ou du bout des doigts. La mienne est loin et la sienne est secrète comme nos yeux. Des secrets silencieux, pétrifiés trônent dans les palais sombres de nos coeurs à tous deux : les secrets lassés de leur tyrannie  : des tyrans désireux qu’on les détrône. »